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Juliette Vigoureux : “Le secteur [du cinéma] était très frileux de se projeter dans un futur qui serait différent de ce qu’ils ont connu”

Dans le cadre du cours “Comment le cinéma change le monde”, animé par La Poursuite du Bleu, les étudiants de l’ICART en 5e année de MBA Ingénierie culturelle et management ont fait la rencontre de Juliette Vigoureux, consultante pour des organisations culturelles durables.

Pouvez-vous nous expliquer d’où est venue votre volonté d’engager une transition écologique dans le cinéma ?

Après mon master en management des organisations culturelles j’ai fait toute ma carrière dans le cinéma, au Festival de Cannes, à la Cinémathèque Française et chez Mars Films. À l’occasion de la sortie du documentaire Demain de Cyril Dion, je me suis demandée comment je pouvais intégrer des considérations de transition écologique dans ma pratique professionnelle. C’est au moment de l’obtention d’un deuxième master, développement durable et responsabilité des organisations à Dauphine, que j’ai intégré The Shift Project, un think tank dédié à la transition énergétique. C’est ici que j’ai rédigé la partie portant sur le cinéma du rapport “Décarbonons la culture”, une publication qui expose les enjeux énergétiques et climatiques du secteur, ainsi que les leviers d’action pour la décarbonation de la culture. En parallèle, j’ai monté La Base, qui accompagne les entreprises du cinéma dans leur transition écologique. Nous avons mis en place l’atelier “La Fresque du film” qui est une adaptation de la fresque du climat destinée aux professionnels du cinéma, de l’audiovisuel, et aussi de la publicité.

Comment est né le collectif CUT! ?

Il y a un peu plus d’un an, Jérémie Renier, un acteur et réalisateur belge, se lançant sans expertise particulière sur le projet, a décidé de s’entourer de professionnels avec des valeurs communes, tels que les acteurs Hiam Abbass et Swann Arlaud, les productrices Carole Scotta et Julie Amalric, la réalisatrice Flore Vasseur et moi-même.
Ensemble, nous nous sommes réunis et le groupe est devenu le collectif “CUT!”, qui veut dire “Cinéma Uni pour la Transition”. Il a été annoncé au Festival de Cannes l’année dernière lors d’une conférence de presse sur la plage du CNC. Depuis septembre, nous sommes officiellement une association, j’en suis la déléguée générale.

Comment CUT! accompagne cette transition ?

Nos deux grandes missions chez CUT! sont d’abord de mettre en avant toutes les initiatives, comme le Green Film, ayant pour objectif de promouvoir les productions audiovisuelles durables par le biais d’une certification ou encore l’Observatoire des imaginaires qui est un questionnaire permettant aux professionnels du cinéma de percevoir comment le public appréhende l’écologie dans les fictions. On dresse la cartographie la plus complète des initiatives. Il en existe un certain nombre, toutes ne se parlent pas et à tort parce qu’on se rend compte qu’il existe des initiatives qui peuvent se faire concurrence, ce qui est absurde. Sur notre site cut-collectif.fr, on a listé des chartes, des calculateurs, des études, le cadre réglementaire, les formations. L’autre grande mission de CUT! est d’aider à déployer des outils qui pourraient manquer aux professionnels, comme des calculateurs d’impacts, des enquêtes et guides mettant en avant les pratiques plus écologiques, des formations…

Concrètement, comment se traduisent ces actions ?

Ces deux grandes missions se distinguent en trois chantiers : le fond, la forme et la diffusion, c’est-à-dire par le soutien de films dits à impact. Le fond, ce sont les récits, qui sont une manière d’assister notre industrie dans l’intégration des enjeux socio-économiques et climatiques dans leurs histoires. Nous envisageons la création de formations destinées aux auteurs, inspirées des ateliers organisés par le Shift. La forme, consiste à réduire l’impact écologique de nos activités, qu’on produise un film, exploite une salle de cinéma, organise un festival… Nous avons, par exemple, créé une charte d’engagement pour les acteurs, actrices et leurs agents car ces derniers sont souvent présentés comme un élément bloquant dans les démarches d’écoproduction.

Votre collectif est récent, pensez-vous que l’industrie est prête à faire sa
transition écologique ?

Le secteur était très frileux à l’idée de se projeter dans un futur qui serait différent de ce qu’ils connaissaient, c’était compliqué. En plus, les économies du secteur sont très fragiles. Aujourd’hui, on pourrait penser que la mise en place de l’obligation de bilan carbone du CNC complique et coûte cher. Cela a eu le mérite de poser le sujet au milieu de la table et c’est devenu un sujet central porté par une politique publique très forte et affirmée sur le sujet.

Maintenant que la transition est devenue un sujet central, qu’a fait le secteur cinématographique ?

En 2022, le Festival de Cannes a mis en place une contribution écologique. Lorsque vous êtes professionnels du cinéma et que vous vous accréditez au festival, c’est gratuit, ça a toujours été comme ça. Désormais, vous devez payer 24 € pour vous accréditer et cet argent sert à financer des projets dits écologiques. Ces projets étaient critiquables car cela portait sur de la compensation carbone, notamment sur des sujets de reforestation. C’est vrai que c’est discutable, néanmoins le Festival de Cannes qui peut représenter l’abondance, l’argent mais surtout le cinéma a eu le mérite de se pencher sur le sujet. Les professionnels n’ont peut-être pas identifié les causes mais ils ont pris conscience qu’il fallait se poser la question au sein même de leurs métiers.

Propos recueillis par Juliette Testu, Hugo Gentil, Carla Ciccia et Solomé Lecocq

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